Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump imprime brutalement sa marque sur l’économie mondiale. Sa politique économique, fondée sur un nationalisme exacerbé, une fiscalité agressive et un désengagement environnemental, bouleverse les équilibres globaux. Si les États-Unis cherchent à capter davantage de capitaux et de production sur leur sol, les entreprises françaises -et les salariés qui y travaillent- risquent d’en payer le prix : perte de compétitivité, désindustrialisation accrue, affaiblissement stratégique et dumping social.
En 2023, les échanges commerciaux entre la France et les États-Unis témoignaient déjà d’un déséquilibre croissant. Les exportations françaises vers le marché américain atteignaient 45,2 milliards d’euros, contre 51,8 milliards d’euros d’importations en provenance des États-Unis. Ce déficit commercial de 6,6 milliards d’euros, en constante aggravation depuis 2022, reflète non seulement une dépendance structurelle aux importations nord-américaines — notamment en matière de gaz naturel liquéfié (GNL), de technologie, de prestations de services —, mais aussi la fragilité de la stratégie industrielle française, fondée sur des exportations de biens -aéronefs, parfums, cosmétiques, boissons notamment- peu à même de résister à un choc protectionniste. La situation de la France ne reflète pas celle de l’Union européenne qui est quant à elle en excédent budgétaire vis-à-vis des États-Unis. En 2024, l’UE a ainsi exporté pour 822,5 milliards d’euros de biens et services vers les États-Unis, tandis qu’elle a importé pour 774,5 milliards d’euros en leur provenance.
Une politique plus cohérente qu’elle n’en a l’air
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier 2025, Donald Trump a entrepris de radicaliser l’agenda économique qu’il avait amorcé lors de son premier mandat. La rhétorique du « America First » s’est traduite, dès le mois d’avril, par l’imposition brutale de nouveaux droits de douane sur une vaste gamme de produits européens : vins, fromages, véhicules, composants industriels. À cette stratégie de confrontation, l’Union européenne n’a répondu que par des mesures fragmentaires et dépourvues de cohérence stratégique, confirmant son incapacité à parler d’une seule voix face à la puissance américaine.
La logique de la nouvelle politique commerciale américaine ne repose pas uniquement sur une hostilité à l’égard de l’Europe. Elle s’inscrit dans une escalade plus large, dont la Chine est l’autre grande cible. Le 9 avril, les droits de douane sur les produits chinois ont été portés à 104 %, après que Pékin a annoncé en retour une surtaxe de 34 % sur les biens américains. Loin d’une simple posture diplomatique, cette confrontation dessine les contours d’un monde fragmenté, où la guerre économique remplace les normes multilatérales issues du consensus de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les marchés financiers n’ont pas tardé à réagir. Le 7 avril, les principales places boursières ont connu une violente secousse. Un rebond a été observé le lendemain, porté par l’hypothèse de négociations bilatérales ciblées entre Washington et certains États européens, avant de rechuter à nouveau. Il est probable que ces turbulences boursières se poursuivent pendant des semaines, voire des mois, avec des conséquences concrètes sur l’économie productive mondiale.
La personnalité bouillonnante de Trump peut donner l’impression que ses choix économiques sont dus à son impulsivité. En réalité, ils sont cohérents avec une certaine vision du monde et des intérêts des États-Unis. Ces mesures répondent à une stratégie : faire financer l’économie américaine, très endettée, par ses partenaires étrangers. Comme le dollar est la principale monnaie utilisée dans le monde, les pays achètent massivement de la dette américaine, ce qui permet aux États-Unis d’emprunter facilement et à bas coût. Mais ce modèle atteint ses limites. Pour continuer à soutenir leur déficit budgétaire et leur déficit commercial, les États-Unis cherchent à imposer des règles économiques strictes à leurs alliés, à utiliser leur poids militaire comme levier et à forcer des concessions économiques. L’objectif est de protéger leur monnaie, leur industrie, relancer l’emploi et affaiblir la dépendance aux importations.
En France, les répercussions de cette offensive économique se font déjà sentir. Emmanuel Macron a appelé les entreprises françaises à suspendre leurs investissements aux États-Unis. Les entreprises exposées à l’export vers les États-Unis — dans la viticulture, l’agroalimentaire ou l’automobile — anticipent une baisse brutale de leurs débouchés. Par exemple, certaines entreprises ont pris des mesures préventives en augmentant les prix de leurs produits exportés dès le dernier trimestre 2024 pour ainsi absorber l’impact sur les prix finaux de la hausse des taxes douanières. D’autres ont constitué des stocks de marchandises pour limiter la hausse des prix, à l’instar de Fermob (spécialiste des mobiliers d’extérieur), basée dans l’Ain, qui a acheminé des produits vers un site de stockage américain en prévision des surcoûts douaniers. L’entreprise prévoit d’ouvrir une ligne de peinture aux États-Unis pour atténuer les droits de douane.
Qui paiera le prix du protectionnisme ?
À ce protectionnisme s’ajoute le dumping fiscal. Donald Trump a annoncé sa volonté de ramener l’impôt sur les sociétés américaines à 15 %, un niveau historiquement bas, afin d’attirer les capitaux productifs sur le sol américain. Cette mesure s’ajoute aux subventions massives mises en œuvre dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, mis en place par Biden et prolongé sous l’administration Trump, qui récompense les investissements localisés sur le territoire américain, en particulier dans les secteurs des batteries, des semi-conducteurs ou de l’hydrogène. L’Union européenne, empêtrée dans ses règles de concurrence et ses dogmes budgétaires, demeure incapable d’apporter une réponse équivalente. La France et l’Allemagne, pourtant au cœur du projet européen, illustrent particulièrement ces divergences. Si les deux gouvernements appellent officiellement à une réponse européenne, leurs intérêts économiques ne sont pas alignés -L’Allemagne étant en excédent commercial vis-à-vis des USA- ce qui freine toute stratégie commune ambitieuse.
Ce qui est certain, c’est que les salariés français risquent de payer le prix de cette guerre économique. En France, le patronat, par la voix du président du Medef Patrick Martin, appelle à “agir très rapidement pour gagner en compétitivité“. L’emploi de cette rhétorique laisse craindre que la réponse ne prenne la forme d’un énième affaiblissement du droit du travail, de baisses de cotisations sociales ou de coupes dans les normes environnementales. Ainsi, au choc protectionniste américain pourrait répondre un contre-choc néolibéral européen, dont les travailleurs feraient une fois de plus les frais.
Il est urgent de refuser cette logique. À la condition de construire une autre réponse — fondée sur la solidarité européenne, une stratégie industrielle publique, et une défense active des normes sociales et écologiques. Sans cela, le risque est grand de voir l’Europe se muer en zone d’ajustement passif d’un capitalisme mondial en pleine guerre économique.
Dans ce climat incertain, les salariés français ressentent la pression de restructurations, de délocalisations ou de baisses d’activité. A leurs niveaux, les CSE peuvent, en particulier dans le cadre de leur information / consultation sur les orientations stratégiques, questionner l’employeur sur les conséquences de ce nouveau contexte sur leur entreprise et les risques qui pèsent sur les salariés. Le but est d’anticiper au maximum de futures décisions, et de préparer, dès aujourd’hui, les arguments de la riposte.