Certains CSE ont l’habitude de demander à leur expert de travailler sur les pratiques d’optimisation fiscale de leur entreprise. De nombreux groupes internationaux transfèrent en effet la marge réalisée en France vers d’autres pays où l’imposition est plus faible et où des mécanismes obligatoires tels que la participation des salariés aux résultats n’existe pas. Les dividendes prélevés sur le bénéfice échappent ainsi également à la fiscalité française. Cette pratique est courante et relativement facile à organiser, notamment par le biais de facturations excessives de prestations parfois fictives réalisées par une filiale étrangère et vendues à une filiale française. Ce transfert de marge est encadré par des normes internationales de l’OCDE, dont le respect limite la fraude mais pas l’optimisation.
Au-delà de ces mécanismes malheureusement habituels, une affaire d’évasion fiscale massive a éclaté en Europe en 2018 et une nouvelle enquête montre que l’ampleur de la fraude est encore plus importante qu’imaginé à l’époque. En effet, l’équipe « CumEx Files », un consortium de seize médias internationaux, vient d’aboutir à une estimation de 140 milliards d’euros sur les vingt dernières années au niveau européen (contre 55 milliards estimés lors de l’enquête de 2018) et 33 milliards d’euros pour la France en particulier.
La France est ainsi la principale victime de cette fraude dont le principe est le suivant : certains pays ont une convention fiscale avec des pays européens permettant à leurs résidents actionnaires de sociétés européennes de ne pas payer la taxe sur les dividendes qu’ils prélèvent sur leurs bénéfices. C’est le cas par exemple des Émirats arabes unis. Le système d’optimisation fiscale CumCum, à la frontière de la légalité, permet ainsi à un actionnaire de transférer ses actions à un prête-nom étranger juste avant le versement du dividende, pour éviter sa taxation, et de récupérer le dividende par la suite.
La pratique frauduleuse nommée CumEx va plus loin et permet à certains actionnaires de profiter de ces possibilités d’optimisation fiscale pour se faire rembourser la taxe sur les dividendes sans l’avoir pourtant payée. Le système est le suivant : juste avant le versement du dividende, plusieurs personnes basées dans des pays ayant ce genre de convention fiscale s’entendent pour procéder à de nombreux transferts de propriété d’un même titre, en particulier par le biais de la « vente à découvert » qui permet de vendre un titre avant même de le détenir. Ainsi, l’administration fiscale n’arrive pas à savoir qui est le réel détenteur des actions et qui a donc touché les dividendes. Les investisseurs demandent tous à se faire rembourser la taxe sur les dividendes, qu’ils n’ont en fait jamais payée.
Quatre grandes banques françaises sont dans le collimateur du fisc français, car elles auraient participé à l’organisation de cette fraude fiscale : BNP Paribas, la Société générale, Natixis et le Crédit agricole. Mais l’enjeu est avant tout politique : considérant que les conventions fiscales favorisant le versement de dividendes rendent la France plus attractive pour les investisseurs étrangers, le pouvoir en place n’a pour le moment rien mis en œuvre pour limiter cette fraude.