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La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel marque un tournant dans la responsabilisation des entreprises

Le 21 janvier dernier, la Cour de cassation a statué dans le procès France Télécom. Ce procès historique a introduit dans la jurisprudence la notion de harcèlement institutionnel, lire notre article du 03 mars 2025. Le harcèlement moral ne se cantonne alors plus à une relation interindividuelle, mais peut également être qualifié dès lors que la politique d’entreprise contribue, « en connaissance de cause », à une dégradation des conditions de travail qui porte atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.

La notion de harcèlement moral institutionnel ouvre des perspectives dans le traitement des
violences au travail

Les experts en santé au travail militent depuis de nombreuses années pour que la question du harcèlement moral ne fasse pas uniquement l’objet d’un traitement par la recherche de la responsabilité interindividuelle, mais que les faits fassent l’objet d’une mise en perspective dans un contexte organisationnel de dégradation des conditions de travail. Les expertises et enquêtes permettent également de mettre en exergue que des types d’organisation du travail peuvent favoriser, ou tout du moins permettre l’émergence de situations de harcèlement moral.  Elles montrent que ces situations sont d’ordre structurel.

Dans l’une de ses publications, la DARES montre par exemple que « Les comportements hostiles apparaissent plus fréquents quand l’organisation du travail est marquée par des horaires atypiques ou par des dysfonctionnements, en particulier le manque de moyens pour effectuer correctement son travail et le manque d’autonomie. »[1]. De la même manière, V. Zaitseva et P. Chaudat ont procédé à une analyse de plus de 450 articles de recherche portant sur les déterminants organisationnels du harcèlement moral.[2] Cette analyse a permis d’identifiercinq catégories de déterminants qui augmentent significativement la probabilité de survenue d’un harcèlement moral : l’organisation du travail, le style de leadership, le climat social, le système de récompense et les changements organisationnels.

Pourtant, la prévention du harcèlement moral au travail demeure encore principalement axée sur des mesures visant à modifier les comportements des salarié·es (la mise en place de formations par exemple) et non à modifier l’organisation, et à rechercher les responsabilités individuelles (par le biais des enquêtes notamment) plutôt que d’interroger la responsabilité de l’entreprise et de sa politique.

La prévention du harcèlement moral devrait reposer principalement sur la prévention des risques psychosociaux

Les risques psychosociaux (RPS) sont définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale engendrés par les conditions d’emploi, et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental[1]. Derrière ce terme de RPS on désigne notamment les violences internes rencontrées par les travailleur·euses, dont le harcèlement moral. Les facteurs à l’origine des risques psychosociaux sont regroupés en six catégories : intensité et temps de travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux au travail dégradés, conflits de valeur et insécurité de la situation de travail. La prévention des RPS prend donc en compte leur origine organisationnelle et plurifactorielle et doit passer par une démarche de prévention collective, visant à identifier les facteurs de risques, leurs déterminants et à évaluer leur niveau « afin d’établir un plan d’actions visant à réduire ces risques à la source en transformant les situations de travail »[2] En d’autres termes, la prévention des risques psychosociaux (dont le harcèlement moral) doit s’appuyer sur un diagnostic sérieux de l’organisation du travail et des facteurs qui contribuent à dégrader les conditions de travail et la santé des salarié·es afin de permettre d’élaborer des mesures de prévention adéquates, et de mettre en évidence la responsabilité de la direction.

Une jurisprudence qui vient confirmer le rôle déterminant des représentant·es du personnel

La reconnaissance de la notion de harcèlement moral institutionnel vient confirmer le lien fort qui existe entre des décisions d’entreprise concernant l’organisation du travail et la santé au travail, notamment par les violences internes que des types d’organisation engendrent voire favorisent.  Elle remet au centre la responsabilité pénale de l’employeur dès lors qu’il met en œuvre une politique ayant des effets délétères sur la santé des salarié·es. Cette décision permet de redonner du sens au travail quotidien des représentant·es du personnel, qui n’ont de cesse de faire remonter systématiquement les problématiques santé-travail détectées sur le terrain, en lien avec l’organisation du travail, lors des instances dédiées aux conditions de travail. Ces remontées, qui figureront dans les PV de CSE, sont autant d’éléments permettant de montrer que l’employeur n’a pris aucune mesure pour prévenir ces risques « en connaissance de cause ».


[1] Gollac M., Baudier M., 2011, Mesurer les facteurs psychosociaux de risques au travail pour les maîtriser. Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques Psychosociaux au travail, Insee

[2] INRS, 2019, Risques psychosociaux, bien-être et qualité de vie au travail, Avril.

[3] Gollac M., Baudier M., 2011, Mesurer les facteurs psychosociaux de risques au travail pour les maîtriser. Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques Psychosociaux au travail, Insee

[4] INRS, 2019, Risques psychosociaux, bien-être et qualité de vie au travail, Avril.