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L’IA et le travail

Intelligence Artificielle au travail : attention aux mirages

Il ne se passe plus une semaine, ni même une journée sans que les actualités ne fourmillent de dizaines d’anecdotes, d’articles ou d’annonces plus ou moins sérieuses sur l’intelligence artificielle. Au milieu, difficile de s’y retrouver surtout lorsqu’il s’agit de parler de l’IA au travail.

L’intelligence artificielle n’existe pas

Commençons par replacer le débat dans son contexte pour pouvoir agir à bon escient. Le recours au vocabulaire de l’intelligence pour parler de programmes informatiques a installé dans l’imaginaire collectif le développement d’une puissance qui nous dépasserait en jouant avec nos meilleurs fantasmes de science-fiction. En l’espèce, si des logiciels intelligents sont bien l’objectif initial de ses créateurs, nous sommes encore loin de robots conscients d’eux-mêmes. Les performances sont extraordinaires, les puissances de calculs incroyables. Mais il faut pour autant éviter tout culte à ce sujet.

Il est essentiel de démystifier le terme pour le remettre à sa place. L’IA est un outil, ce sont l’usage et l’intention de son concepteur puis de son utilisateur qui comptent. Si les ordinateurs nous dépassent en puissance de calcul – et ils n’ont pas attendu l’IA pour ça – il est ici question de l’automatisation de travail intellectuel et manuel via des capacités à collecter massivement des informations pour « apprendre » comment les analyser afin de « renseigner » des bases de données.

Du fétichisme de l’innovation

L’IA a non seulement fait irruption dans la plupart des domaines de la vie courante mais aussi dans l’entreprise. Alors qu’il est plutôt un argument marketing pour écouler toutes sortes de produits sur les marchés, les Systèmes d’Intelligence Artificielle (SIA) sont maintenant déployés comme outils de travail d’abord au nom de la simplification de tâches rébarbatives, dites « sans valeur ajoutée » dans le vocabulaire managérial.

Avec un certain fétichisme de l’innovation, les projets sont bardés d’une sémantique de l’évidence et de la modernisation. Or nous constatons au travers de nos interventions qu’en réalité bien peu d’entreprises sont réellement prêtes à déployer des systèmes digitaux qui demandent énormément de compétences professionnelles internes, des capacités de ressources et d’infrastructures informatiques capables de gérer les données à traiter et d’en maintenir la qualité dans le temps.

Si ces points sont mal évalués, ils risquent de générer beaucoup d’investissement pour des résultats médiocres lorsqu’il ne s’agira pas tout simplement d’échecs. Nous pouvons penser par exemple aux fonctions supports telles que les RH pour la gestion du recrutement, le marketing pour réaliser des prédictifs de tendance ou de comportements, mais aussi aux fonctions opérationnelles comme les commerciaux (support de vente, coaching, gestion des tournées, etc.) ou les unités de production (maintenance prédictive par exemple). Rajouter une couche d’IA à des systèmes d’information externalisés ou de qualité médiocre faute d’investissements ne causera que des dysfonctionnements. Les SI traditionnels préparent et sont le support aux déploiement des SIA et non l’inverse, l’IA ne modernisera jamais un mauvais outil autrement que comme un vernis d’apparat.

Les SIA vont transformer en profondeur le travail

De la même façon, nous observons qu’il est encore rarissime à ce stade que les risques au travail et les effets de transformation de l’organisation soient évalués. Or les impacts sont connus et non-négligeables sur l’emploi et les conditions de travail.

Introduit par exemple pour « automatiser des tâches à faible valeur ajoutée », l’IA peut être le point d’appui à des gains de productivité permettant in fine de ne pas remplacer des postes quand ils ne sont pas tout simplement supprimés.

Or le travail est un ensemble cohérent de tâches. Atomiser l’activité est un risque qu’il convient d’évaluer. Réaliser une tâche qui peut paraître anodine permet souvent en réalité de préparer des réflexions plus approfondies ou de réaliser des tâches plus complexes. Les déléguer à une machine peut donc conduire à affaiblir l’autonomie du salarié ou à diminuer la qualité du travail.

De la même façon, l’IA peut transformer le travail de façon profonde. En lui déléguant toute une partie des missions d’un poste, l’activité se déplace vers d’autres tâches plus complexes. Mais être en permanence sur des tâches difficiles peut générer une forte charge mentale, limiter les temps de récupération nécessaires ou accroître in fine la charge de travail.

En perspective, les entreprises peuvent rechercher le développement du « Management Algorithmique ». C’est-à-dire le pilotage automatisé des équipes par les chiffres et les données. Outre le caractère déshumanisant, les risques de surcontrôle, de surveillance, et de coercition (comme cela peut être le cas dans certaines sociétés des GAFAM), c’est un mode de gestion qui rentre en contradiction avec la nature même du travail qui implique coordination, régulation, transmissions et échanges collectifs. Autant de conditions nécessaires à un travail de qualité et à l’activation des savoir-faire et des compétences.

Il existe de nombreux outils à disposition des élus

L’IA peut donc se déployer bien souvent de façon anodine au départ dans les entreprises. Ne serait-ce que par la montée de versions de logiciels déjà utilisés habituellement. Mais elle doit toujours être l’objet d’une attention renforcée des représentants du personnel.

Ils ont à disposition toute une séries d’outils pour ouvrir la discussion, les informations-consultations pour projets de réorganisation ou liées à l’introduction des nouvelles technologies notamment. Dans ces situations il est toujours bon d’exiger de l’employeur qu’il transmette le cahier des charges de l’outil voire le contrat de prestation. Il arrive que ceux-ci dépassent le cadre dans lequel est informé le CSE et que l’outil, une fois déployé, travaille à apprendre plus que ce que l’on pensait. Ce sont également des cadres ou l’employeur doit évaluer les effets sur l’organisation et les conditions de travail.

Les orientations stratégiques et les consultations politique sociale sont aussi des moments opportuns. Quels sont les impacts sur l’emploi, quelles compétences vont disparaître à terme, se transformer ou se renforcer sont autant de questions qui permettent d’agir en amont et de prévenir des situations à risque.

Enfin, le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels doit être mis à jour et être l’occasion d’évaluer finement, en fonction des populations métiers et des technologies utilisées, les différents risques nouveaux ou renforcés si l’Intelligence Artificielle est déployée sur des outils professionnels.