La Cour de cassation consacre, pour la première fois, la notion de « harcèlement moral institutionnel » au travail. Dorénavant, les dirigeants d’une société peuvent être sanctionnés pénalement pour avoir mené, en toute connaissance de cause, une politique d’entreprise conduisant à la dégradation des conditions de travail des salariés.
Le climat anxiogène d’une réduction des effectifs à l’origine de la plainte d’un syndicat
Dans cette affaire, le président-directeur général et plusieurs cadres dirigeants de France Telecom ont mené une réorganisation impliquant un plan de réduction des effectifs impactant 22 000 salariés sur environ 120 000. A la suite d’un dépôt de plainte par un syndicat, la société et ses principaux dirigeants ont été poursuivis pour harcèlement moral au travail entre 2007 et 2010. Il leur était notamment reproché d’avoir harcelé 39 salariés dans le cadre d’une politique d’entreprise visant à déstabiliser le personnel et à créer un climat professionnel anxiogène par des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des contrôles excessifs et intrusifs, des manœuvres d’intimidation, une surcharge de travail.
Rappelons que le Code pénal prohibe le harcèlement moral au travail. Il dispose que « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende » (art. 222-33-2 du Code pénal).
Du harcèlement moral…à la consécration du harcèlement moral institutionnel
Par un arrêt rendu le 30 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris avait déclaré les prévenus coupables de « harcèlement moral institutionnel » ou de complicité de ce délit. Elle avait défini cette notion comme des agissements, qui s’inscrivent dans une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, porteurs, par leur répétition, d’une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et outrepassant les limites du pouvoir de direction.
Condamnés pour certains à des peines d’emprisonnement, les dirigeants avaient alors formé un pourvoi en cassation. Il s’agissait, pour la Cour de cassation, de déterminer si le harcèlement moral institutionnel, tel que défini par la cour d’appel, entrait dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal.
La loi pénale étant d’interprétation stricte, la Cour de cassation rappelle que « si le juge ne peut appliquer, par voie d’analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas, il peut, en cas d’incertitude sur la portée d’un texte pénal, la rechercher en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption ». Autrement dit, il convient de s’assurer que l’interprétation est conforme à la portée que le législateur a souhaité donner à cette incrimination.
La Cour de cassation estime ensuite que « les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel », entrent bien dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal.
La Cour de cassation rejette en conséquence le pourvoi des dirigeants. La condamnation du président-directeur général et des cadres dirigeants de France Telecom est ainsi confirmée.
Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87145