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Une entreprise peut-elle verser des dividendes tout en ayant bénéficié des aides de l’État en 2020 ?

Pour aider les entreprises à faire face aux conséquences économiques du Covid-19 et des confinements, le gouvernement a mis en place un grand nombre de mesures depuis mars 2020. Ces dispositifs de soutien sont entourés soit de faibles conditions à la rémunération des actionnaires (Prêt garanti par l’État, report des échéances sociales et fiscales), soit d’aucune condition en ce sens (recours à l’activité partielle). Les représentants du personnel doivent donc être vigilants pour identifier si l’entreprise n’a pas utilisé ces dispositifs pour subventionner la rémunération du capital plutôt que de sécuriser l’avenir de l’entreprise et de son collectif de travail.

Lors de la mise en place du PGE (prêt garanti par l’État) en mars 2020, le gouvernement avait communiqué sur l’interdiction pour les entreprises qui en bénéficiaient de verser des dividendes, c’est-à-dire de redistribuer à ses actionnaires une partie de ses bénéfices, et de procéder à des rachats d’actions. « Il y a des règles (…) qui font que lorsque l’État apporte une aide directe, l’entreprise ne peut pas verser de dividendes » avait notamment rappelé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur France Inter l’été dernier. La réalité est malheureusement bien différente.

D’abord, cette règle ne s’applique que pour les groupes qui comptent au moins 5000 salariés ou qui génèrent un chiffre d’affaires annuel consolidé supérieur à 1,5 milliard d’euros en France.

De plus, si les décisions de verser des dividendes ont été prises avant le 27 mars 2020, cette règle ne s’applique pas. Elle ne s’applique pas non plus pour les dividendes versés en 2021, en distribution du bénéfice réalisé en 2020.  

Pourtant, ce qu’affirmait Bruno Le Maire lui-même semble frappé au coin du bon sens : « si vous n’avez pas d’argent pour (…) votre trésorerie, [alors] vous n’en avez pas non plus pour vos actionnaires ». Pourquoi alors circonscrire à ce point l’application de cette règle ? Concrètement, une entreprise, qui en 2020 a bénéficié du PGE pour renflouer sa trésorerie en prétextant des difficultés économiques momentanées, va pouvoir décider d’affecter son bénéfice réalisé en 2020 en dividendes versés aux actionnaires au premier semestre 2021. Elle va également pouvoir leur racheter une partie de leurs actions pour leur distribuer de l’argent et ainsi soutenir son cours de bourse.

La faiblesse du gouvernement face aux grandes entreprises peut ainsi créer des effets d’aubaines importants. Par exemple, le groupe Fnac Darty avait été l’un des premiers groupes à obtenir un prêt garanti par l’État à hauteur de 500 millions d’euros pour résister à une chute d’activité… qui n’a en fait pas eu lieu. Avec 7,49 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 2020, Fnac Darty a finalement atteint 210 millions d’euros de bénéfice, grâce à la progression très forte de ses ventes en ligne. Il a le droit de verser une partie de ces 210 millions d’euros en dividendes aux actionnaires en 2021. L’annonce officielle de l’affectation de ses résultats permettra de savoir si le groupe va le faire, mais il en a en tout cas la possibilité.  

Dans l’ensemble des entreprises ayant bénéficié du PGE, les représentants du personnel devront être vigilants lors de la décision d’affectation du bénéfice 2020 au premier semestre 2021. Si des dividendes sont versés ou des rachats d’actions décidés, même si cela est légal, il pourra être utile de critiquer ce choix et d’analyser, au besoin l’aide de l’expert du CSE, comment les marges de manœuvre financière dégagées par le PGE ont finalement été utilisées.

Cette vigilance des élus du personnel est importante également dans les entreprises ayant bénéficié du report de cotisations sociales et d’impôts, pour lesquelles le versement de dividendes est faiblement encadré.

Enfin, l’effet d’aubaine principal à contester dans les mesures de soutien aux entreprises concerne sans doute le recours à l’activité partielle, qui n’est aucunement conditionné à une limitation du versement de dividendes. Bruno Le Maire a seulement invité « toutes les entreprises qui bénéficient du chômage partiel soit à faire preuve de modération, soit -mieux- à donner l’exemple, à ne pas verser de dividendes », mais libre à elles de ne pas vouloir montrer l’exemple et de rémunérer fortement leurs actionnaires, tout en ayant eu une partie importante de leur masse salariale subventionnée par l’État via le dispositif d’activité partielle. Selon l’Observatoire des multinationales, « au moins 24 membres du CAC40 ont ainsi profité du chômage partiel, et 14 d’entre eux ont versé un généreux dividendes : Bouygues, Capgemini, Carrefour, Kering, LVMH, Michelin, Publicis, Schneider, Téléperformance, Thales, Unibail, Véolia, Vinci, Vivendi. ». Carrefour, par exemple, qui a placé, au cours de l’année 2020, la quasi-totalité de ses effectifs en activité partielle, a dans le même temps versé 183 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires. L’argent versé par l’État serait pourtant plus utile s’il était utilisé pour soutenir l’investissement et l’emploi plutôt que pour rémunérer le capital, d’autant plus dans la crise économique que nous traversons.