Le CSE peut faire appel à un expert lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, pour la santé et la sécurité est constaté dans l’établissement (art. L.2315-94 CT), étant rappelé que la charge de la preuve de l’existence du risque grave repose sur le comité en cas de contentieux (CA Paris, 26 mars 2008, n° 07-19553).
En pleine crise sanitaire courant mars 2021, le CSE a été informé par l’employeur du suicide, à son domicile, d’un salarié technicien itinérant et de l’ouverture d’une enquête confiée à un cabinet extérieur choisi par l’entreprise. Dans une lettre laissée à sa famille, le salarié avait dénoncé une situation de harcèlement au travail.
Les conclusions de l’enquête à laquelle le comité n’a pas été associé, ont été présentées aux élus lors de la réunion suivante et ont identifié de nombreux facteurs de risques professionnels auxquels étaient exposés les techniciens itinérants de l’entreprise, aggravés par la crise sanitaire : isolement, absence de soutien et de relation avec la hiérarchie, réorganisation du travail, contrôle accru du travail et comparaison systématique entre les salariés, manque global de reconnaissance du travail et de perspectives d’évolution dans l’entreprise, etc.
Notons que l’inspection du travail relevait au même moment, dans le cadre de son propre rapport enquête, qu’aucune mesure n’avait été prise pour rompre l’isolement des salariés, mettre fin au classement et à la comparaison des salariés entre eux, ni même actualiser l’évaluation des risques psychosociaux.
Le CSE a ainsi considéré qu’il ressortait du rapport présenté le constat d’un risque grave mais que cette enquête, qui n’avait pas sérieusement envisagé l’étude de la situation de harcèlement, était insuffisante. Constatant également qu’aucune mesure concrète de prévention n’avait été mise en œuvre par l’employeur, le comité a voté le recours à une expertise risque grave.
C’est dans ce contexte que l’employeur a demandé judiciairement l’annulation de l’expertise diligentée par le CSE, estimant qu’il n’existait aucun risque grave et que cette mesure était inutile compte tenu des investigations déjà réalisées. L’employeur reprochait également au CSE de faire appel à un expert extérieur à la société alors que le comité avait les moyens de réaliser lui-même l’analyse des risques professionnels.
Néanmoins, le tribunal a considéré qu’il ressortait de l’ensemble des arguments du CSE fondés sur les rapports d’enquête qu’un risque grave avait été identifié et était encore actuel lors de la décision du CSE de recourir à une expertise. Le tribunal ajoute, non sans ironie, que la société, qui avait elle-même fait appel à un cabinet extérieur, ne pouvait « sérieusement » demander au CSE de procéder lui-même à l’analyse des risques.
L’employeur a été débouté de sa demande.
TJ Créteil, 21 septembre 2021, RG 21/00778